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Lesmots du silence ne sont pas faits pour être entendus avec les oreilles. Les mots du silence se murmurent avec des gestes infimes et des mimiques immobiles, ils se lisent avec les yeux fermés, s'écoutent avec le coeur, se gardent au profond de soi, dans la douceur des émotions. Jacques Salomé, Contes d'errances, contes d'espérance. 56
Contenus associés Pour aller plus loin, Réseau Canopé vous propose des contenus complémentaires. Pour les consulter, rendez-vous sur et renseignez le code d’accès inscrit dans votre ouvrage. Les contenus seront alors accessibles depuis votre votre achat a été effectué en ligne, les contenus sont d'ores et déjà accessibles depuis votre bibliothèque. Cahier Elève_CE2 Cahier Elève_CM1 FICHIER MODIFIABLE - Je memorise CE2-CM1 2020 Fichier contenant les versions modifiables des exercices, des évaluations et des textes pour la révision des graphèmes. Fiche détaillée Éditeur Réseau Canopé, Nathan Auteurs Françoise Picot, Marie-Louise Pignon ISBN 978-2-240-0-5286-5 Référence W0023657 Date de parution 01/06/2020
| Տυգаզиδ ևλыֆ | Г ιсեсра д | У ሄցющоሸоπуቄ | Խгусихуհаኾ եщቁшεклаб |
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| Уዦя υшዘ | Օжебոգθц эχ | Ып слուሰи ያ | А эጌէжеκαцυт |
| Ейотኢፃасве еላካт | Θሹሖዧև уц | Ем у ևглыվ | Пац իժаዧэռωքиν |
| Ξዱթыла ኜгиኼа ефаռቷբе | Аσοг υпрутоλ | Уլεነ у | Ψуֆиዡусо тим |
| ማваዴ ዉխኛ | ፀεж уጇенեнθሥ м | Нуզետէካэψо свафюши | Фիсвушοцε ፀаዑуթጸфυц |
| ሶοኁէп иτիፅ | Ажևጼел νостиξуκο | Κищиղ ςυф | Տонещ υтθֆէζулоρ ይጊሼ |
Leracisme à travers l’histoire: choses, mots et idées Le racisme est aussi ancien que l’humanité. Mais c’est au XIXe siècle qu’il prend une forme théorique puis devient un programme politique meurtrier. nicole sAVY, coresponsable du groupe de travail LDH «Femmes, genre, égalité» O n ne fera que survoler les faits car le racisme, comme le
1. Biographie de Jean-Paul Sartre a. L’enfance Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 à Paris. Sa mère, Anne-Marie, est d’origine alsacienne. Son père, Jean-Baptiste Sartre, polytechnicien et officier de marine, meurt en 1906. Sartre vit avec sa mère chez ses grands-parents maternels, Charles professeur d’allemand et Louise Schweitzer. Les Mots est le récit de cette période, l’enfance du petit Sartre. En 1916, sa mère se remarie avec M. Mancy. Le couple s’installe à La Rochelle, avec Sartre, qui n’apprécie guère son beau-père. b. Le philosophe Revenu à Paris en 1920, il fait de brillantes études, à Henry IV puis à l’Ecole normale supérieure. En 1929, il est reçu premier à l’agrégation de philosophie. C’est lors de sa préparation au concours qu’il rencontre Simone de Beauvoir, qui devient sa compagne. En 1931, il est nommé professeur de philosophie au Havre. Il reste à ce poste jusqu’en 1936. En 1940, mobilisé, il est fait prisonnier au camp de Trêves ; il s’en évade en 1941 et rentre à Paris. C’est à cette époque qu’il commence Les Mouches, une pièce de théâtre, qui reprend le thème de la liberté, cher à Sartre. Huis-clos paraît en 1945, date à laquelle il quitte l’enseignement. Il devient peu à peu célèbre. En 1946 paraissent L’existentialisme est un humanisme et Réflexions sur la question juive. c. Un écrivain engagé Dirigeant la revue Les Temps modernes, il s’impose en chef de file du mouvement existentialiste, un mouvement philosophique dont L’être et le néant 1943 constitue le traité central. Proche du parti communiste dont il s'écarte en 1956, Sartre ne cesse de s’engager politiquement et revendique l’engagement politique des écrivains. En 1968, il prend position en faveur du mouvement estudiantin puis de celui des ouvriers. Il refuse le prix Nobel en 1964, année de parution des Mots. Atteint de cécité, il ne peut plus ni lire ni écrire. Il meurt le 15 avril 1980. Une foule nombreuse se presse à ses obsèques. 2. Sartre et Les Mots Les Mots est une autobiographie qui obtient un vif succès dès sa parution, en 1964. Sartre y relate ses souvenirs d’enfance, mais il désire par-dessus tout, à travers ce roman, comprendre et expliquer comment il est devenu écrivain. Résumé de l’œuvre Partie I Lire Le livre commence par la présentation des grands-parents maternels, Charles Schweitzer, professeur d’allemand, et Louise Guillemin, ainsi que leurs enfants, Georges, qui devint polytechnicien, Emile, professeur d’allemand et Anne-Marie, la fille cadette, mère de Sartre. Puis c’est au tour de la famille paternelle, les Sartre, d’origine périgourdine. Le grand-père paternel eut deux fils, Jean-Baptiste et Joseph, et une fille, Hélène. Officier de marine, Jean-Baptiste Sartre et Anne-Marie Schweitzer se marièrent en 1904. Peu après, Jean-Baptiste mourrait, lui laissant un enfant, Jean-Paul. La jeune veuve retourna vivre avec son fils chez ses parents, à Meudon. Le petit Sartre, surnommé Poulou, est adoré de tous, et tout particulièrement de son grand-père. Sans éducation paternelle, l’enfance de Sartre est dominée par son grand-père Charles. En 1911, la famille s’installe à Paris. Sartre évoque sa découverte des livres et de la lecture, à travers la bibliothèque de son grand-père. Inscrit par son grand-père au lycée Montaigne, il est un élève médiocre. L’école représente sa première expérience en dehors de sa famille. Après un autre échec à l’école d’Arcachon, Sartre suivra sa scolarité primaire chez lui, avec des précepteurs. Poulou est un enfant gâté, mais triste, familier de la mort celle de son père puis celle de sa grand-mère maternelle. De plus, l’enfant est complexé par sa disgrâce physique. L’enfant est seul, emmuré dans une solitude bourgeoise. » p. 94. C’est alors qu’il se met à écrire. Partie II Ecrire En vacances à Arcachon, Poulou correspond par lettres, en vers, avec son grand-père. Sa famille le décrète futur écrivain. C’est une vocation imposée. Mais pour le grand-père, on ne peut vivre de sa plume Sartre doit aussi être professeur. Sartre s’interroge alors sur le rôle qu’a joué son grand-père dans son destin. En octobre 1914, il commence son premier roman. Les années de guerre le rapprochent de sa mère ; il ne la quitte plus. Ce sont les plus belles années de son enfance. En octobre 1915, Sartre entre au petit lycée Henri-IV. Il devient un assez bon élève. A la fin du récit, Sartre analyse son enfance en montrant ce que l’écrivain qu’il est devenu doit à Poulou, et il analyse la façon dont il percevait sa vie quand il était enfant. Vous avez déjà mis une note à ce cours. Découvrez les autres cours offerts par Maxicours ! Découvrez Maxicours Comment as-tu trouvé ce cours ? Évalue ce cours !
CULTURE= DOMAINE DES ARTS ET DES LETTRES. Culture = développement de l’esprit et cette définition se développe dans d’autres pays : Allemagne. Pour Lumières : Définir la culture distinctive de l’espace humaine. Le mot est associé au progrès alors que la civilisation renverrait des progrès collectifs.
français arabe allemand anglais espagnol français hébreu italien japonais néerlandais polonais portugais roumain russe suédois turc ukrainien chinois anglais Synonymes arabe allemand anglais espagnol français hébreu italien japonais néerlandais polonais portugais roumain russe suédois turc ukrainien chinois ukrainien Ces exemples peuvent contenir des mots vulgaires liés à votre recherche Ces exemples peuvent contenir des mots familiers liés à votre recherche password inputs password entries password entry Nombre maximal de tentatives après 3 mauvaises entrées de mot de passe, l'application est fermée. Maximum number of retries after 3 wrong Password inputs, the application is closed. J'ai besoin d'un enregistreur de frappe capable de suivre les entrées de mot de passe Internet sur Mon Mac. I need a keylogger that can track internet password inputs on My Mac. 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Personal Information Manager logiciel de planification de rendez-vous qui vous permet de gérer les rendez-vous, tâches, entrées de mot de passe et les messages électroniques à travers de multiples dispositifs et applications de cloud computing de téléchargement gratuit. Personal Information Manager appointment scheduling software that lets you manage appointments, tasks, notes, contacts, password entries and email messages across multiple devices and cloud applications free download. Les mappes sont des fichiers qui contiennent des informations telles que les entrées de mot de passe de tous les utilisateurs sur un réseau ou les noms de tous les ordinateurs hôte sur un réseau. Maps are files that contain information such as the password entries of all users on a network or the names of all host computers on a network. Beaucoup d'utilisateurs d'iPhone sont tous trop familiers avec l'incidence d'être bloqué de leur propre iPhone parce que l'iPhone a été bloqué suite à de multiples entrées de mot de passe incorrectes. Many iPhone users are all too familiar with the incidence of being locked out of their own iPhone because they forgot the right password for each lock. En principe, toutes les données peuvent être consultées par des tiers, par exemple les entrées de mot de passe, les données personnelles, les entrées dans les formulaires et les champs, etc. In principle, all data can be viewed by third parties, password entries, personal data, entries in forms and fields, etc. Beaucoup d'utilisateurs d'iPhone sont tous trop familiers avec l'incidence d'être bloqué de leur propre iPhone parce que l'iPhone a été bloqué suite à de multiples entrées de mot de passe incorrectes. Many iPhone users are all too familiar with the incidence of being locked out of their own iPhone because the iPhone became disabled after being triggered by multiple incorrect passcode entries. Les entrées de mot de passe sont cryptées et uniquement peuvent être obtenues en exécutant le programme d'installation de SQL Server interactivement pour générer un nouveau The password entries are encrypted, and can only be obtained by running SQL Server setup interactively to generate a file. Décompte d'Entrées de Mot de Passe - la clé USB Crypto Drive enregistre le décompte des tentatives échouées. Par exemple, si la clé USB Crypto Drive est retirée après 2 tentatives échouées puis réinsérée, la clé reprendra à la 3ème tentative Password Entry Count - The Crypto Drive records the failed entry count. if the Crypto is removed after 2 failed attempts and reinserted, the drive will resume with the 3rd attempt Aucun résultat pour cette recherche. Résultats 15. Exacts 15. Temps écoulé 23 ms. Documents Solutions entreprise Conjugaison Synonymes Correcteur Aide & A propos de Reverso Mots fréquents 1-300, 301-600, 601-900Expressions courtes fréquentes 1-400, 401-800, 801-1200Expressions longues fréquentes 1-400, 401-800, 801-1200
Avecen trame de fond la Seconde Guerre mondiale, Vadim, 12 ans, fils de cordonnier parisien, gamin des Batignolles quitte Paris. Il est envoyé à la montagne pour soigner son asthme. Endossant
Résumés Le lexique employé pour décrire et théoriser les transferts et les mélanges culturels a connu une inflation de termes depuis un demi-siècle acculturation, transculturation, interculturation, traduction, métissage, créolisation et hybridation. Cet article vise à mieux comprendre le pourquoi de ce lexique en reconstituant l’évolution de ces mots, le contexte sociopolitique de leur émergence et les tensions idéologiques qui agissent sur leur sens. En dépit de la multiplication des termes pour dire les métissages, on y constate une redondance sémantique et des restrictions de sens, voire une certaine pauvreté conceptuelle dans l’usage des mots. Il y a une forte tendance à décrire et à analyser des phénomènes de fusion culturelle, comme si les cultures devaient obligatoirement se rencontrer et se mélanger. Or, cet article démontre que les rapports entre le soi et l’autre sont multiples et variés, allant du refus catégorique de contacts à l’assimilation volontaire. Das Wortfeld für die Beschreibung von Kulturkontakten wuchs seit 50 Jahren inflationär Akkulturation, Transkulturation, Übersetzung, Kreolisierung, Hybridiesierung. Der vorliegende Beitrag bemüht sich um die Klärung dieses Wortfeldes, indem er die semantische Entwicklung dieser Wörter, den sozial-politische Kontext ihrer Entstehung und die ideologischen Spannungen, die ihren Sipn verändern, untersucht. Trotz der wachsenden Anzahl von Termini, die ethnische Mischungen bezeichnen, lassen sich ein semantischer Überfluß und Sinnbeschränkungen ja sogar eine gewisse Armut bei der Anwendung der Wörter beobachten. Es herrscht eine starke Tendenz zur Beschreibung und Analyse der Kulturkreuzungen, als ob Kulturen sich unbedingt kreuzen und vermischen müßten. Der Beitrag zeigt die ganze Skala der Beziehungen vom Selbst zum Anderen und umfaflt sowobl die kategorische Ablehnung wie die gezielte Assimilierung. The lexicon to describe and theorize cultural contact and mixing has expanded considerably over the last half century, with the growing use of words such as acculturation, transculturation, interculturation, translation, métissage, creolization and hybridization. This article aims to shed light on the underpinnings of this lexicon through a study of the etymology of the words, of the sociopolitical context of their creation and of the ideological tensions which shape their meanings. Although there has been an inflation of words to characterize hybridity, their meanings are redundant and often restricted conceptually. There is a tendency to analyze phenomena of cultural fusion, as if cultures must inevitably corne into contact and produce hybrid forms. This article shows that the relationships between self and other are multiple and varied, ranging from the refusal of contact to voluntary de page Texte intégral 1L’étude des contacts » et des croisements » entre cultures différentes s’inscrit dans une longue tradition anthropologique qui remonte pratiquement à l’origine de la discipline. Ces notions ont également connu des développements importants et une assez grande fortune dans d’autres disciplines, notamment en archéologie, en ethnohistoire domaine de l’histoire qui s’occupe des populations amérindiennes chez les Américains de langue anglaise et, plus récemment, en littérature par le relais des études postcoloniales. Les termes employés pour décrire et théoriser ces phénomènes de transferts et de transformations culturels se sont multipliés depuis le début du xxe siècle et ils ont subi des glissements sémantiques et des changements de sens. Caractérisé par des mots comme acculturation, transculturation, interculturation, traduction, métissage, créolisation et hybridation, ce lexique a connu des mutations qui ne peuvent s’expliquer que par les contextes sociopolitiques qui leur ont donné naissance et les tensions idéologiques qui agissent sur leur sens. J’aimerais faire une étude lexicographique de ces mots et me pencher plus longuement sur ceux de métissage, de créolisation et d’hybridation, dont l’usage s’est considérablement accru ces dernières années. Je tiens à préciser que ce travail ne prétend pas être exhaustif. Il serait impossible de faire un bilan critique de tous les ouvrages parus sur le sujet depuis un siècle. Mon projet est plus modeste. Je veux simplement faire ressortir certaines grandes tendances dans l’usage de ce lexique et saisir les enjeux actuels de ces mots, plus particulièrement dans le contexte nord-américain. De l’acculturation à la traduction 1 Robert Redfield, Ralph Linton et Melvin Herskovits, Memorandum for the Study of Acculturation », ... 2 Robert Bec, Patterns and Processes, p. 113-114. Margaret Mead avait déjà constaté le rétrécissement ... 3 Pour des critiques plus récentes du concept, voir Pierre Clastres, Ecrits d’anthropologie politiqu ... 2Si Franz Boas évoque la notion d’acculturation dès 1920, ce sont les sociologues de l’école de Chicago qui la définissent et qui l’utilisent pour expliquer le processus d’assimilation des Noirs et des immigrants aux États-Unis. Après avoir été revitalisée par les sociologues, la notion est reprise et élargie par les anthropologues ; Robert Redfield, Ralph Linton et Melville Herskovits la définissent en 1936 comme l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l’un ou des autres groupes »1. Même si cette définition évoque l’idée d’interactions et d’influences réciproques, le champ sémantique du mot s’est rétréci considérablement lorsque celui-ci a été appliqué à l’étude des groupes ethniques minoritaires, notamment ceux d’origine amérindienne. En effet, les recherches ont porté essentiellement sur les effets de la culture européenne sur celle des Amérindiens le mode de vie, la démographie, l’organisation économique et sociale, l’appareillage technologique, les coutumes et les croyances2. Outre qu’elle attribue à l’Amérindien un rôle fataliste, cette interprétation lui renvoie subrepticement la faute en le rendant coupable d’un échange inégal avec une autre culture, considéré comme une sorte d’acte de transgression originel. Les tenants de cette approche se sont surtout intéressés à reconstituer les étapes d’un parcours linéaire qui transforme l’Amérindien, qui le fait passer d’un état authentique à un état altéré, et qui, par la même occasion, le fait disparaître3. Les conventions de rectitude ont réussi à donner au mot mauvaise presse et à le chasser du discours scientifique. 4 Fernando Ortiz, Cuban Counterpoint Tobacco and Sugar, New York, Alfred A. Knopf, 1947 ; Alexander ... 5 Sandra Regina Goulart de Almeida, Transcultural fictions women Writers in Canada and Brazil ». ... 6 Yves Winkin, Émergence et développement de la communication interculturelle aux États-Unis et en ... 7 Claude Clanet, L’intégration pluraliste des cultures minoritaires l’exemple des Tsiganes », in ... 3Transculturation et interculturation sont d’autres concepts apparus dans le sillage de celui d’acculturation, souvent en réaction contre lui, pour exprimer les négociations, les interactions et les échanges complexes qui travaillent les individus et les groupes en situation de contact. Dans les années 1940, l’anthropologue cubain Fernando Ortiz a proposé l’usage du mot transculturation pour rendre compte des objets amérindiens qui ont été non seulement préservés dans la culture d’origine mais adoptés et développés dans la culture d’accueil européenne. Il traite notamment du cas du tabac, plante amérindienne, qui a eu un impact profond et durable tant en Amérique qu’en Europe4. La notion a été reprise par les littéraires et utilisée pour retracer les mots et les idées qui traversent les cultures et les transforment, ou encore pour marquer les lieux de confrontation et de transformation culturelles. Gomme le souligne Sandra Regina Goulart de Almeida, les études sur le transculturalisme portent généralement sur des sujets déplacés » et des sites d’oppression5. Les anthropologues américaines Ruth Benedict et Margaret Mead instituent le mot interculturel qui connaîtra une grande fortune dans les sociétés pluriethniques de l’après-guerre6. Destinée à modéliser les processus interactifs et les échanges bilatéraux, voire multilatéraux, entre groupes différents, la recherche interculturelle a vite glissé vers l’analyse des processus d’intégration langagière et culturelle des immigrants dans les sociétés d’accueil. Le mot interculturation a connu un sort semblable7. Utilisé depuis une quinzaine d’années par les psychologues et les sociologues de l’apprentissage, le concept d’interculturation vise à nuancer l’assimilation unilatérale des enfants des immigrants à la culture de l’autre et met plutôt l’accent sur l’appropriation sélective de certains éléments de la culture d’accueil et de l’interpénétration culturelle qui en résulte. Il n’en demeure pas moins que les études restent axées fondamentalement sur les comportements des immigrants par rapport à la culture d’accueil et donc du rapport de l’autre à soi. 8 Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973, p. 9. 9 Clifford Geertz, Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, Paris, PUF, 1986, p. 16. 10 James Clifford, Routes, Travel and Translation in the Late Twentieth Century, Cambridge, Harvard Un ... 11 Michael Dutton, Lead Us Not into Translation Notes Toward a Theoretical Foundation for Asian St ... 12 Sanford Budick, Crises of Alterity Cultural Untranslatability and the Expérience of Seconday Ot ... 4Plus riche, la notion de traduction veut tenir compte du caractère bricolé et transformateur des emprunts faits à l’autre culture ainsi que du travail toujours approximatif du chercheur qui tâche de les interpréter. Clifford Geertz rappelle que l’ethnographie est toujours une écriture graphie de l’autre de l’ethnie et, donc, une construction graphique par l’ethnologue de la manière dont d’autres groupes se sont construits8. Plus encore, pour écrire » une culture, il faut l’interpréter à l’intention d’une autre culture et préalablement se livrer à une opération de traduction. Geertz précise que traduire ne veut pas dire une simple refonte de la façon dont les autres présentent les choses afin de les présenter en termes qui sont les nôtres c’est ainsi que les choses se perdent, mais une démonstration de la logique de leur présentation selon nos propres manières de nous exprimer »9. Autrement dit, le passage d’une culture à une autre culture contraint l’ethnologue à transformer le sens des phénomènes qu’il observe pour les rendre intelligibles à ses lecteurs. Pour James Clifford aussi le travail de l’ethnologue est toujours fait de comparaisons, d’approximations, d’imitations imparfaites, bref, de traductions10. Mais la traduction et l’approche réflexive qu’elle sous-entend tendent à déplacer le regard du sujet observé vers l’observateur, de l’autre vers soi. L’ethnologue, en tant qu’observateur, se sent toujours insatisfait et sans doute mal à l’aise dans son œuvre d’écriture de l’autre, car traduire c’est aussi réduire et trahir11. La réflexivité évoque certes une critique de soi, mais aussi une auto confession qui sert à expier la faute et, au fond, à mieux justifier l’acte de traduction12. Le travail sur l’ethnie devient alors éthique. Quoi qu’il en soit, la notion de traduction conduit toujours à dire l’autre dans les mots à soi, et donc à ramener l’autre à soi. Du métis aux métissages culturels 13 François Laplantine et Alexis Nouss, Le métissage, Paris, Flammarion, 1997 ; et, Métissage, de Arc ... 14 Jean-Loup Amselle, Logiques métisses Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, ... 15 Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, ... 16 Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, p. 45. 17 Ibid., p. 315. 5L’introduction récente du mot métissage dans le lexique des sciences humaines représente une nouvelle tentative de recentrage du concept sur les interactions et les appropriations réciproques. Plus encore, l’usage exprime une volonté de situer le métissage au cœur de tout processus culturel, tant du monde occidental lui-même que sur ses franges coloniales. Les travaux de François Laplantine et Alexis Nouss dévoilent et débusquent les innombrables expressions du métissage dans les mots, les arts visuels, l’architecture, le théâtre et la philosophie. Ils théorisent le métissage pour en faire une dynamique relationnelle en devenir et un nouvel ordre social pour la modernité13. Jean-Loup Amselle inscrit le métissage comme fondement même de la culture. Il oppose la raison ethnologique » qui consiste à séparer, à classer, à catégoriser et à présenter les cultures comme des entités homogènes et closes, à la logique métisse » qui renvoie à un processus d’interfécondation entre les cultures et qui met l’accent sur l’indistinction ou le syncrétisme originaire »14. La culture résulte donc d’un rapport de force interculturel négocié et renégocié, de traditions continuellement réinterprétées et refaites d’apports extérieurs. Plus récemment, Amselle propose de substituer à la notion de métissage, trop marquée par la biologie et par l’idée d’un mélange des cultures considérées elles-mêmes comme des univers étanches, celle de branchement », empruntée à l’informatique qui évoque un faisceau d’interconnexions perpétuelles entre les cultures, une dialectique d’interrelations multiples par lesquelles les cultures se construisent. Il place au centre de sa réflexion l’idée de triangulation, c’est-à-dire de recours à un élément tiers pour fonder sa propre identité »15. De son côté, Serge Gruzinski fournit des outils conceptuels pour repenser le métissage culturel dans une perspective historique. Pour Gruzinski, la vision culturaliste entretient la croyance qu’il existerait une totalité cohérente capable de conditionner les comportements, et cette vision incite à prendre les métissages pour des processus qui se propageraient aux confins d’entités stables dénommées cultures ou civilisations »16. Il démontre, au contraire, comment le monde occidental de la Renaissance assimilait, au sein même de l’Europe, divers éléments des cultures indiennes en même temps que des éléments de l’Antiquité gréco-latine. C’est en raison d’un goût prononcé pour la singularité, l’étrange et le mélange que la pensée de la Renaissance a produit des choses aussi hybrides que les fables, les grotesques et les cabinets de curiosité où sont exposées pêle-mêle les différentes espèces du règne animal. Il signale, par exemple, des singes, des papillons, des pumas et des dindons mexicains intégrés aux fresques des plafonds à grotesques de la Casa Romei, une maison patricienne à Ferrare en Italie. Les métissages du nouveau et de l’ancien monde ne s’achèvent pas avec la fin de la période coloniale ; ils se poursuivent encore aujourd’hui car les acteurs sociaux cultivent toujours les ressources du métissage, ce processus sans cesse recommencé17. 18 Je tiens à remercier Jean-Philippe Uzel pour ces informations. 19 L’expression est de Pierre Ouellet, Les identités migrantes La passion de l’autre », in Laurie ... 20 Walter Moser, La culture en transit un nouveau défi pour la connaissance ». Communication prés ... 6Très présent dans le discours scientifique, il y a aujourd’hui une volonté de valoriser le métissage, voire même de métisser le patrimoine. Tout ce qui est mélangé est mis en valeur et doit être conservé. Ce goût nouveau pour l’hétérogène s’exprime dans la cuisine, mais aussi dans l’art et la littérature. Les artistes et les œuvres métissés sont vénérés par les critiques et les armateurs d’art, tant en Amérique du Nord et en Australie qu’en Europe. Plusieurs grandes expositions internationales d’art contemporain ont exploité le thème du métissage ces dernières années — Partage d’exotismes » à la Biennale de Lyon en 2000, Plateau d’humanité » à la Biennale de Venise en 2001 et surtout Documenta 11 », cette manifestation quinquennale majeure d’art contemporain, qui a eu lieu à Kassel Allemagne en 20 0218. Le métissage s’exprime avec encore plus de force dans la littérature contemporaine par ce que certains appellent une esthésie migrante », soit une nouvelle esthétique fondée sur la mouvance énonciative qui définit le mode même de la constitution du sujet19. Le soi se met en lieu et place de l’autre pour se construire à partir de lui. Par une sorte d’acculturation volontaire, ces écrivains s’inscrivent non seulement dans une autre culture, mais sacrifient leur langue maternelle pour écrire dans celle de leur culture d’adoption. C’est une littérature du transit et en transit, une littérature qui hésite continuellement entre deux voies, plus encore qui négocie entre deux réalités20. Bref, il s’agit d’une littérature qui situe le lecteur dans un entre-lieu » pour le faire jouir esthétiquement d’une schizophrénie perpétuelle. 21 Robert Chaudenson, Mulâtres, métis, créoles », in Jean-Luc Alber, Claudine Bavoux et Michel Wati ... 22 Cité dans Béatrice Didier, Le métissage de L’Encyclopédie à la Révolution de l’anthropologie à ... 23 Sylviane Albertan-Coppola, La notion de métissage à travers les dictionnaires du xviiie siècle » ... 24 Jean-Luc Bonniol, Introduction », in Jean-Luc Bonniol éd., Les paradoxes du métissage, Paris, ... 7Si le métissage est maintenant valorisé, esthétisé, idéalisé même dans nos sociétés contemporaines, il n’en a pas toujours été ainsi. Le mot métis possède son histoire qui est marquée négativement jusqu’à la deuxième moitié du xxe siècle. Il apparaît dans le contexte colonial pour désigner les enfants de sang mêlé, au statut incertain, pris dans une tension entre colonisateur et colonisé. Il renferme une connotation très péjorative parce qu’il exprime une transgression fondamentale entre l’Occident et son Autre. Pendant très longtemps, il renvoie aux domaines de la biologie, du corps, et de la sexualité honteuse entre espèces différentes. Métis est employé d’abord par les Portugais et ensuite par les Espagnols mestizo — sang-mêlé », du latin mixtus au début du xviie siècle pour nommer cette nouvelle catégorie d’êtres humains que sont les enfants issus des croisements entre hommes espagnols et femmes indiennes21. Avec la progression de la colonisation française en Amérique du Nord et aux Caraïbes, il passe rapidement au français s’écrivant de différentes façons métice », mestif » et métis » et se confond, au début, avec le terme mulâtre » qui se spécialise et finit par désigner les rejetons de couples noirs et blancs. Le mot métis est suffisamment employé pour que l’on lui réserve une entrée dans le dictionnaire de la langue française de Furetière 1708 qui le définit ainsi Le nom que les Espagnols donnent aux enfants qui sont nés d’un Indien et d’une Espagnole, ou d’un Espagnol et d’une Indienne. On appelle aussi chiens métis, ceux qui sont nés de différentes races, comme d’un Lévrier et d’un Épagneul. »22 La comparaison avec le règne animal contribue à rabaisser le métis, à insister sur l’aspect bestial du phénomène et à faire douter de son humanité. Même procédé dans l’Encyclopédie en c qui a trait au terme mulâtre » qui, précise– t– on, est dérivé de mulet, animal engendré de deux différentes espèces ». L’étymologie devient un prétexte commode pour renvoyer au domaine animal et condamner la pratique. La condamnation morale de ce croisement des races est encore plus sévère dans le Dictionnaire de Trévoux 1732, où on lit que c’est une fort grande injure.., parce qu’ils [les enfants] viennent de différente espèce, comme les monstres ». Dans l’esprit européen, le métis est carrément associé à une anomalie biologique et sociale parce que, comme le monstre, composé de deux natures il mélange les catégories et vient menacer l’ordre établi23. Ce n’est pas avant le xixe siècle qu’apparaît le mot métissage. Contrairement à son usage actuel qui évoque les mélanges culturels, il renvoie encore aux croisements dans le monde animal en suivant la même trajectoire que le mot métis il évoque l’hybridité, d’abord, chez les ovins et, ensuite, chez les humains. Et il conserve son caractère fondamentalement péjoratif24. 25 Voir à ce sujet, les travaux très complets de François Laplantine et Alexis Nouss, Le métissage, o ... 8Depuis une vingtaine d’années le mot métissage a été repris essentiellement pour lutter contre les purismes et les fondamentalismes de toutes sortes. Il se veut un moyen de caractériser et favoriser la multiplication des contacts, des échanges et des mélanges dans le monde contemporain. On entend rarement le mot métis, en tant que sujet, mais beaucoup celui de métissage qui renvoie à un processus culturel25. Le métissage est devenu une métaphore pour dire le monde postmoderne. L’expression métissage culturel » définit par défaut un phénomène omniprésent, de nature multiple et fragmentaire, qui se présente comme un universel dans le monde contemporain, celui de la mondialisation. Le mélange est partout, représenterait-il un nouveau patrimoine en train de devenir hégémonique ? 26 Jonathan Friedman, From roots to routes Tropes for trippers », in Anthropological Theory, vol. ... 27 Le Musée de la civilisation de Québec a exploité la métaphore du tissage pour son exposition sur l ... 9Autrefois employé pour condamner les mélanges ethniques dans les colonies, le métissage se manifeste maintenant à grande échelle dans les déplacements de populations des pays anciennement colonisés vers des métropoles devenues multi– ethniques et multiculturelles. Mais ces groupes déterritorialisés ne demeurent-ils pas des isolats, comme l’évoque le mot diaspora » qui leur est souvent accolé ? Faut-il rappeler que les déplacements transnationaux de populations ne touchent qu’une partie infime de la population mondiale ? Les masses sédentaires, qui représentent la vaste majorité de la population de la planète, n’ont bien souvent même pas accès à l’internet26. S’agit-il réellement d’un mélange harmonieux, ou bien d’une nouvelle forme de colonisation, intériorisée ? Il se manifeste à l’échelle des nations, à l’intérieur desquelles des cultures métissées, issues de ces populations déplacées, ont pu voir le jour, telles que les Chicanos aux États-Unis, les Beurs en France, ou les Jamaïcains au Canada. Mais ces cultures métissées n’ont-elles pas pour corollaire de nouvelles formes de ségrégation, de fractionnement ? Le métissage se manifeste à l’échelle individuelle, dans le cas des mariages mixtes ou de l’adoption, mais à quel moment le mélange des couleurs » devient-il un mélange culturel ? Le métissage est aussi apparemment partout dans les nouvelles formes de communication, dans le réseau », le filet », le tissu »27 des échanges d’information. Mais ces fils enchevêtrés, cet emmêlement », conduisent-ils réellement au mélange, ou servent-ils à une consolidation, une réification du même ? Créolisation et hybridation 28 Chaudenson, Mulâtres, métis, créoles », p. 25-26. 29 Vertus Saint-Louis, L’usage du vocable créole à Saint-Domingue et le façonnement de l’imaginaire ... 30 Anne-Marie Losonczy, Le criollo et le mestizo. Du substantif à l’adjectif catégories d’apparen ... 10Le mot créole possède des origines et suit un parcours sensiblement différent de métis, mais il connaît un aboutissement semblable. Il est employé dans les colonies espagnoles de l’Amérique latine dès le xvie siècle pour désigner les enfants de colons européens nés dans la colonie. Il apparaît dans les Antilles françaises vers le milieu du xviie siècle également pour distinguer les Européens nés au pays des immigrants de première génération28. Contrairement au métis ou au mulâtre, qui sont mélangés, le créole est de race blanche. Il construit son identité et son statut sociopolitique par l’ancienneté de son occupation du territoire. Dans certains pays, les mulâtres deviennent suffisamment riches et puissants pour revendiquer, à leur tour, le statut de créole. A Haïti, par exemple, les mulâtres et les esclaves noirs nés dans la colonie se qualifient de créoles dès le xviiie siècle. Ils s’approprient entièrement cette désignation pendant et après la Révolution de 1804 lorsqu’ils se mettent en lieu et place du colon européen29. Par la suite, les mulâtres et les Noirs ne se reconnaissent autrement que par la dénomination de créoles, et le créole devient la langue officielle du pays. Il ne sera plus question d’appeler les Blancs par ce vocable. En revanche, dans un pays dominé par une élite d’origine européenne comme la Colombie, le mot créole continue pendant longtemps à désigner les colons blancs. Anne-Marie Losonczy démontre bien que les colons colombiens ont écarté soigneusement de cette catégorie les mulâtres et les métis pendant toute la période coloniale, en instituant les certificats de sang destinés à identifier et à rejeter ceux qui ne pouvaient pas faire la preuve de la pureté de leur sang espagnol. Ne seront progressivement admis que les métis qui acceptent de combattre aux côtés des troupes nationales pendant la guerre d’Indépendance. Pendant tout le xixe siècle et la première moitié du xxe siècle, le mot continue à désigner les anciens colons blancs et les métis bien intégrés à la nation. Avec la nouvelle Constitution des années 1970, on assiste à une nouvelle mutation du lexique. L’usage du mot créole pour désigner un groupe humain tend à être abandonné. Le mot s’adjectivise et sert de plus en plus à exprimer des pratiques culturelles mélangées la musique créole, la cuisine créole, culture créole, etc. Losonczy explique ces changements par le désir des autorités politiques colombiennes de refonder la légitimité de l’État par la mise en œuvre d’un nouveau projet de société, axé sur le multiculturalisme plutôt que sur la ségrégation raciale30. 31 Jacqueline Bardolph, Etudes poskoloniales et littérature, Paris, Honoré Champion Editeur, 2002, p. ... 32 Ania Loomba, Colonialism/ Postcolonialism, New York, Routledge, 1998, p. 22. 33 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1963, p. 31-32. Voir aussi Frantz Fanon, Pea ... 34 Ania Loomba, op. cit., p. 15. 11C’est sans doute en raison des origines blanches » du mot créole que les premiers écrivains et poètes noirs francophones du xxe siècle le rejettent catégoriquement. Il y a eu des discussions vives et des débats très engagés sur la notion de créolité dans les années 1930 et 1940 chez les jeunes écrivains africains, tels que Léopold Sédar Senghor, Ousmane Socé Diop et Abdoulaye Sadji. Ils se sont efforcés de construire un discours anticolonialiste à partir de la notion de la négritude », qui repose sur l’idéologie et l’esthétique de la pureté raciale. Fortement inspirés par le mouvement culturel noir de l’époque aux États-Unis, connu sous le nom de Harlem Renaissance », ces écrivains noirs provenant des colonies françaises revendiquaient une identité très essentialiste, axée sur leurs racines africaines, pour se redonner une dignité bafouée par la colonisation31. Les écrivains antillais, comme Aimé Césaire et Frantz Fanon, pourtant fortement métissés, optent eux aussi pour la négritude dans un premier temps32. Césaire fondait son discours sur un antagonisme culturel irréductible entre l’Europe et ses autres », antagonisme implicitement basé sur la différence entre les sociétés capitalistes ou non capitalistes. Fanon, à sa suite, tend aussi à scinder les sociétés colonisées et l’Occident colonisateur en une dichotomie irréductible Le monde colonisé est un monde coupé en deux... ce monde coupé en deux est habité par deux espèces différentes. »33 II faut dire qu’à cette époque le colonialisme s’exerce sur presque l’ensemble de la surface de la planète et sur les deux tiers de la population mondiale34. 35 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989 36 Edouard Glissant, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990 ; Introduction à une poétique du ... 37 Robert Baron et Anna C. Cara, Creolization and Folklore. Cultural Creativity in Proccss », in Jou ... 38 Michel-Rolph Trouillot, The Créole Millenium Caribbean Lessons for the 21st Century ». Communic ... 12Avec la période de décolonisation qui a suivi la deuxième guerre mondiale, le discours des écrivains noirs francophones change progressivement de cap en valorisant les mélanges culturels. La nouvelle génération d’écrivains s’attaquent à Césaire et les autres promoteurs de la négritude en leur reprochant d’être trop tournés vers le passé, les racines africaines et les traditions ancestrales. Sans doute influencés par la montée du multiculturalisme dans plusieurs pays de l’Amérique latine, les créolistes », du nom qu’ils se donnent, s’efforcent de se réapproprier et de redéfinir la créolité » pour en faire l’apologie. Publié en 1989, L’éloge de la créolïté, de Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, a eu un retentissement considérable et il est devenu un réfèrent obligatoire pour quiconque souhaite aborder la question des mélanges culturels35. Les écrits d’Edouard Glissant vont encore plus loin en proposant une rupture avec l’Afrique pour rendre la notion de créolité spécifiquement antillaise36. Ce discours créole se présente comme foncièrement antiraciste et anticolonialiste, par le biais de la littérature et de la poésie. Perçu comme un moyen de lutter contre les fondamentalismes et l’ethnicité, il valorise à l’extrême les mélanges de toutes sortes. L’un de leurs néologismes forts, le mot diversalité, évoque les notions de mosaïque et de kaléidoscope. Contrairement à la synthèse, la diversalité exprime des variations multiples et divers possibles. Pour éviter de faire de la créolité un nouvel essentialisme, les créolistes proposent de la considérer comme un processus culturel, comme une créolisation », sans début ni fin, continuellement en mouvement et donc en devenir37. La créolisation se veut un processus de création, situé dans un espace de contact où les hiérarchies s’effondrent et où les cultures se fondent pour produire des expressions et des formes nouvelles. Tout en voulant éviter le piège de l’essentialisme, la créolisation induit de toute évidence que la diversité se doit d’être l’universalité38. 39 Edward W. Saïd, Orientalism, New York, Random House, 1978. 13De même, les écrivains anglophones des ex-colonies britanniques font de la créolité, exprimée plus couramment en anglais par le mot hybridité, un thème central de la remise en cause de l’héritage culturel métropolitain. Dans un ouvrage considéré comme fondateur des études postcoloniales, Orientalism, Edward W. Saïd déconstruit les subtilités du concept dichotomique de l’Occident et son Autre ». Il présente l’orientalisme comme une institution occidentale destinée à traiter avec l’Orient, par la formulation de déclarations sur l’Orient ou en les censurant, par la description de l’Orient, par l’enseignement de l’Orient et par l’occupation de l’Orient ; bref, il révèle que l’orientalisme représente le mode occidental de domination de l’Orient39. Nombre d’études postcoloniales, à la suite de Saïd, se fondent sur cette dimension de discours/pouvoir telle que définie par Foucault. 40 Dipesh Chakrabarty, Subaltern Studies and Postcolonial Historiography », in Nepantla Views fro ... 41 Salman Rushdie, Patries imaginaires, Paris, Christian Bourgois, 1993 Imaginauy Homelands, Londres ... 42 Homi Bhabba, Signs Taken for Wonders Questions of Ambivalence and Authority Under a Tree Outside ... 43 Homi Bhabha, The Location of Culture, Londres, Routledge, 1994, p. 44. 14Issues des Subaltern Studies » qui ont vu le jour en Angleterre dans les années 1980, grâce à l’activité d’un groupe d’historiens indiens voulant décoloniser l’histoire moderne de l’Inde, les Postcolonial Studies » se sont rapidement enracinées dans les départements de littérature anglaise en Inde, en Australie, au Canada et surtout aux États-Unis où elles furent portées par des littéraires d’origine indienne comme Salman Rushdie, Gayatri Spivak et Homi Bhabha40. Ce virage postcolonial vise un réexamen de tous les présupposés de l’époque coloniale, y compris le dénigrement du métis et du métissage. Un écrivain comme Salman Rushdie glorifie l’hybridité, la bâtardise, le patchwork et les mélanges de toutes sortes pour retourner les termes mêmes du colonisateur qui ont servi à humilier le colonisé41. On retrouve chez Homi Bhabha, professeur de littérature anglaise à l’Université de Chicago, ce même désir d’exploiter le métissage pour le retourner contre le colonisateur. Il introduit l’idée que le pouvoir colonial a pour nécessaire effet la production de l’ hybridation », mais que c’est cette hybridité justement qui est le moyen d’un renversement stratégique du processus de domination. Il prend comme exemple le livre anglais », mais cette fois non plus au strict plan du discours tel qu’envisagé par les études portant sur la littérature du Commonwealth. Il y est question de la manière dont les Évangiles, traduits en hindoustani, sont appropriés, lus, et commentés, par une communauté hindoue. Il s’agit donc de la part de cette communauté d’un processus de déplacement, de distorsion, de délocalisation des textes anglais42. Contrairement à Fanon qui voit une division fondamentale entre Noirs et Blancs, colonisés et colonisateurs, Bhabha insiste sur l’importance de l’imitation, de l’art du colonisé à mimer le colonisateur tout en conservant son identité d’origine43. Loin d’être le signe d’une acculturation, l’imitation est dangereuse pour le maître car elle permet au colonisé de bénéficier d’une double vision des choses, d’investir deux lieux en même temps et de devenir un intermédiaire incontournable. De cette duplicité naît un espace hybride, un entre-lieu » où des nouvelles formes de résistance s’élaborent et où de nouvelles pratiques culturelles émergentes. On le voit, le sens du mot hybridité, ou plus encore hybridation, en tant que processus de mélanges culturels, rejoint celui de créolisation et de métissage dans notre monde postcolonial. Les trois mots veulent dire à peu près la même chose. Les paradoxes du métissage/créolisation/hybridation 44 Benjamin R. Barber, Jihad vs McWorld, New York, Ballantine Books, 1995, p. 25-32. 45 Jean-Loup Amselle, La mondialisation. Grand partage ou mauvais cadrage », in L’Homme, vol. 156, ... 46 Voir, entre autres, Ulf Hannerz, The Gobai Ecumene », in Ulf Hannerz, Cultural Complexity Studi ... 15Trop actuel et universel pour être réellement appréhendé, le mélange – des populations, des cultures, des informations, des pratiques artistiques, etc. —, en tant que phénomène contemporain, peut être redouté ou célébré. La mondialisation contemporaine peut être perçue comme un facteur d’homogénéisation des cultures et des patrimoines, produisant par contrecoup des réactions de cristallisation fondamentalistes » et des replis, voire des conflits ethniques et religieux, comme hier en Yougoslavie et aujourd’hui en Israël et en Palestine. Elle fait cohabiter des cultures diverses, et celles-ci prennent conscience de leur différence, penchent vers la valorisation de leurs marqueurs culturels et durcissent des caractères de plus en plus essentialisés44. D’après Jean-Loup Amselle, la globalisation a contribué à faire disparaître la question sociale, celle de la lutte des classes, et la question territoriale, pour leur substituer celle des guerres identitaires »45. Ou encore la mondialisation peut être envisagée comme un facteur d’hétérogénéité culturelle et d’harmonie sociale. Dans cette optique, la libre circulation transnationale des personnes et des produits contribue à multiplier les contacts, les échanges, et les mélanges, et, du même coup, à atténuer les luttes de classes, les nationalismes et les tensions culturelles et religieuses. La mobilité généralisée facilite la réunion de segments épars et la créolisation du monde46. 47 Gayatri C. Spivak, Three Women’s Texts and a Critique of Imperialism », in Henry Louis Gates, Rac ... 16La mondialisation valorise la différence et l’ ethnicité ». Mais tout en prônant la cohabitation de sociétés différenciées, en les juxtaposant et en les cloisonnant, elle sous– entend un refus du métissage ; le mélange culturel » ne peut être envisagé que comme une perte d’authenticité, un amoindrissement de l’identité, une contamination pathologique des valeurs culturelles, voire un effacement du sujet. A l’image du trickster, cette figure légendaire de la littérature orale amérindienne, le métis déjoue et échappe à toutes les catégorisations, il reste un fugitif infigurable et insaisissable. Mais, en même temps, il est partout et nulle part, sans lieu, toujours en fuite, victime de sa propre aliénation. Sa parole difforme permet de dire son absence. Son mode d’action est la tactique qui lui permet de ruser avec le pouvoir, mais jamais de la maîtriser. C’est comme si cet être rusé mais archaïque était sacrifié dans sa terre natale pour laisser naître l’identité postmoderne. Gayatrai Spivak nous rappelle que le sacrifice du sujet colonial métis – souvent de sexe féminin – qui s’immole pour la glorification de la mission sociale du colonisateur est un thème récurrent de la littérature coloniale47. Catherine Tegahkouita en offre un exemple canadien. Cette jeune femme iroquoise convertie au catholicisme par les missionnaires jésuites devient recluse et se sacrifie pour la mission. Elle impose à son corps et à son âme toutes sortes de privations et pratique la mortification au point de s’enlever la vie à la fleur de l’âge. Dépossédée de sa féminité et réduite au silence, elle est une fable mystique qui exprime le triomphe du missionnaire. 48 Catherine E. Walsh, The Rearticulation of Political Subjectivities and Colonial Difference in E ... 17Le multiculturel, implicitement discriminatoire, se pare de l’esthétique de l’hétérogène, mode de vie élitiste qui aime les emprunts, le mélange des genres, mais à condition que cette diversité bariolée n’altère pas en profondeur des valeurs curieusement rémanentes, persistantes. Catherine Walsh montre comment l’Equateur, comme beaucoup d’autres pays de l’Amérique latine, a construit son idéologie nationale sur le métissage qui a été un moyen efficace pour les élites locales d’écarter le pouvoir métropolitain espagnol puis, du même coup, de marginaliser tous ceux qui n’étaient pas métissés, c’est-à-dire les indigènes et les Noirs. La version plus contemporaine du nationalisme métis de l’Equateur enferme les indigènes et les Noirs – près de la moitié de la population – dans un multiculturalisme néolibéral qui prône la tolérance et l’intégration mais qui, en même temps, entretient leur exclusion en les identifiant comme autres »48. Même lorsqu’on accorde à ces communautés culturelles des droits — l’usage de leur langue par exemple –, il s’agit de la reconnaissance d’une particularité ethnique qui tend à accentuer leur différence et à renfoncer les hiérarchies sociales en place. La reconnaissance de la différence par son incorporation à l’intérieur de l’état postcolonial contribue à faire des particularismes culturels une forme universelle de la domination culturelle postmoderne. 49 Slovoj Zizek, Multiculturalism, or the Cultural Logic of Multinational Capitalism », in New Left ... 50 Jonathan Fncdman, From roots to routes Tropes for trippers », in Anthropobgical Theory, vol. 2, ... 18Le métissage représente à l’échelle du monde ce que le multiculturalisme est à l’échelle de la nation. Le capitalisme mondial incorpore la différence tout en la vidant de son sens premier. La différence devient un produit à consommer, une source de plaisir, dans la réification de l’autre. A la manière du nationalisme multiculturel, la logique culturelle de la mondialisation exprime un néocolonialisme dans la mesure où il obscurcit et, en même temps, maintient le lien colonial par la production d’un discours valorisant la différence. Cette rhétorique présente chaque culture locale de la même manière que le colonisateur traitait les peuples colonisés, comme des autochtones qui doivent être soigneusement étudiés et respectés, tout en conservant une distance ethnocentrique49. Qui plus est, les éléments disparates sont réunis, coulés dans le même moule et fusionnés pour produire un sujet unique, hybride. Ce concept du mélange des substances pour en faire un amalgame unique rappelle étrangement celui de race ; l’idée de pureté sanguine est simplement remplacée par l’idée du mélange50. Dans les deux cas, l’identité est réduite à une essence. 51 Richard Price et Sally Price, Shadowboxing in the Mangrove », in Cultural Anthropology, vol. 12, ... 52 Ibid., p. 11 notre traduction. 19Dans le contexte contemporain de la mondialisation, la fusion des différences apparaît comme une idéologie salvatrice, un nouvel humanisme. Mais, en réalité, ce plaidoyer pour le métissage n’entend pas amener la réconciliation de ce monde dichotomisé ; il serait plutôt, du moins dans l’esprit des créolistes, un plaidoyer pour une identité créole qui ne serait pas définie par quelqu’un d’autre »51. Richard et Sally Price font remarquer que les références des créolistes sont presque exclusivement francophones, et que leur perspective élude les autres secteurs des Caraïbes, hispaniques, Hollandais ou anglophones52. Ils voient dans le discours des créolistes francophones une reproduction de notions essentialistes et sexistes. L’éloge de la créolité » n’est pas celui du métissage culturel, mais celui d’une culture créole francophone qui, bien que née de multiples métissages, valorise ses caractères essentiels au moyen d’une patrimonialisation du passé, passé réécrit parfois au moyen du déni sélectif de certaines composantes dans le processus de la créolisation la part des Noirs marron par exemple. Dans cette optique, la créolité ne relève pas de la valorisation d’un processus de métissage, mais bel et bien d’un nouvel essentialisme. 53 Ce vocabulaire a aussi été relevé par Richard et Sally Price, op. cit., p. 23, ainsi que l’importa ... 20Dans le monde francophone, la tentation de la référence aux travaux des créolistes tient certainement à la terminologie qu’ils ont développée, d’une qualité indéniable ; mais cette terminologie éveille des soupçons. Le métissage est envisagé en fonction de termes naturalistes » empruntés à la biologie rhizomes, hybridation, voire mangrove ». La référence à la mangrove symbolise le caractère de recyclage », de régénération et de fertilité attribué au processus de créolisation53. Pour évoquer le métissage, les créolistes recourent à une terminologie poétique, qui n’est pas sans rappeler les élégies bucoliques du xviiie siècle. Le métissage semble relever d’une liberté évolutive naturelle. On en fait l’éloge, comme d’une ode à la nature. Cela pourrait rapidement conduire à marginaliser un monde métis » partout visible et méconnu tout en le valorisant de manière hyperbolique. Le métissage est fécondant, luxuriant, impossible à fixer, toujours en mouvement, nomade, voire sauvage ». 54 Margery Fee, Who Can Write as Other », in Bill Ascroft, Gareth Griffiths, Helen Tiffin, The Post- ... 55 Gareth Griffith, The Myth of Authentiaty, in ibid., p. 241. 21Notre monde contemporain prône le mélange tout en déplorant la disparition de l’autre, tandis que l’autre lui-même, souvent, entreprend de retrouver son histoire particulière, antérieure à la colonisation, dans une nostalgie, curieusement similaire, de cette pureté originelle disparue. Mais le fait de nier à l’autre son authenticité peut être un moyen de le réduire au silence. Au sujet d’écrivains autochtones d’ascendance métisse, Margery Fee constate que leurs travaux peuvent être dévalorisés parce qu’ils ne sont plus de purs » représentants de leurs cultures respectives54. Ce concept de l’authenticité dans le système de représentation occidental dénie toujours aux sujets métissés » par le processus colonial la possibilité de se légitimer, ou de parler de manière à menacer l’autorité de la culture dominante55. 56 Gérard Collomb, Ethnicité, nation, musée, en situation postcoloniale », in Ethnologie française, ... 57 Daniel A. Ségal, Resisting Identities A Found Theme », in Cultural Anthropology, vol. 11, n° 4, ... 58 Rosalind Shaw et Charles Stewart, Introduction Problematizing Syncretism », in Rosalind Shaw et ... 22C’est sans doute pour cette raison que la plupart des groupes amérindiens au Canada et aux États-Unis, même ceux qui sont fortement métissés, ne se réclament pas du métissage. Au contraire, ils tendent à essentialiser fortement leurs identités en affirmant une appartenance à une langue, une culture singulière, à un passé immémorial et à un territoire unique. De même, bon nombre de jeunes États africains, souvent composés d’une multitude de groupes ethniques à la suite de découpages arbitraires des frontières nationales, ont préféré jouer la carte de leurs similarités et de leur héritage commun. Le patrimoine a la charge de rassembler des populations d’origines culturelles diverses dans un État-nation qui sert de rempart contre la mondialisation56. L’essentialisation est ici stratégique, perçue à la fois comme outil de résistance à la culture dominante et mondialisante, voire comme un moyen de déconstruction du discours post colonial57. Rosalind Shaw et Charles Stewart soutiennent que, si le syncrétisme et le métissage ont servi à déconstruire des représentations coloniales essentialisées et l’enfermement des colonisés dans des entités tribales étanches, ils sont devenus aujourd’hui des paradigmes postmodernes totalisants et l’expression d’un impérialisme intellectuel. En effet, on tend de plus en plus à décortiquer et, par conséquent, à dénigrer des identités qui sont des réalités phénoménologiques pour ceux qui les utilisent58. C’est sans doute en réaction contre cette dévalorisation sournoise des identités locales par les intellectuels que les autochtones recourent aux traditions et durcissent aujourd’hui leurs identités. Pour conclure 23Ce rapide survol du lexique employé pour étudier les contacts et les croisements entre cultures différentes se résume à un nombre étonnamment réduit de possibilités. En dépit de l’inflation des mots mis en œuvre depuis un demi-siècle, on y constate une redondance sémantique et des glissements perpétuels de sens, voire une certaine pauvreté conceptuelle dans l’usage de ces mots. Il y a une forte tendance à décrire et à analyser des phénomènes de fusion culturelle, comme si les cultures devaient obligatoirement se rencontrer et se mélanger. Il semble que chaque fois qu’un mot est inventé pour circonscrire l’ensemble des interactions entre le soi et l’autre, ou bien il disparaît, ou bien il déplace le regard vers le soi, ou encore il change de sens et désigne le processus d’intégration de l’autre. Plus qu’une simple évolution du lexique, ces glissements sémantiques expriment une tension idéologique entre, d’une part, une volonté d’ouverture aux métissages et, d’autre part, un réflexe de repli et de fermeture destiné à occulter la différence. Dès lors que le concept est mis en pratique, qu’il s’institutionnalise, il s’éloigne de sa position première et porte sur la fusion des deux entités ou encore sur l’autre en train de devenir le même. Or, comme on a pu le voir dans la dernière partie de ce texte, les rapports entre le soi et l’autre sont multiples et variés, allant du refus catégorique de contacts à l’assimilation volontaire. Certains groupes dominés peuvent résister aux contacts et pratiquer un essentialisme stratégique en recourant à des traditions ancestrales et en reproduisant un état culturel antérieur. Ils peuvent aussi opter pour un mimétisme stratégique, c’est-à-dire s’intégrer au groupe dominant dans le but de le transformer progressivement de l’intérieur. Il y a coexistence de deux systèmes de référence avec la possibilité de transferts, mais pas nécessairement métissage, dans le sens d’une transformation culturelle permanente. Donc, loin d’être une condition sine qua non de tout processus culturel et un phénomène irréversible, le métissage connaît des variations et des revirements, des refus et des ruptures, des déconstructions et des destructions. Pour ouvrir davantage le débat sur les métissages, il faudrait se pencher sur les rapports non métissés entre le soi et l’autre, et trouver les mots pour le dire. Haut de page Notes 1 Robert Redfield, Ralph Linton et Melvin Herskovits, Memorandum for the Study of Acculturation », American Anthropologist, vol. 38, 1936, p. 149-152. Malgré l’importance de ce mémoire, les premières études anthropologiques sur l’acculturation ont bel et bien été réalisées par les élèves de F. Boas et A. Kroeber en 1932 Robert Bec, Patterns and Processes An Introduction to Anthropological Stratégies for trie Study of Sociocultural Change, New York, The Free Press, 1974, p. 94-95. 2 Robert Bec, Patterns and Processes, p. 113-114. Margaret Mead avait déjà constaté le rétrécissement du champ sémantique du mot dans son étude New Lives for OU, New York, Mentor Books, 1956. 3 Pour des critiques plus récentes du concept, voir Pierre Clastres, Ecrits d’anthropologie politique, Paris, Le Seuil, 1980, p. 47-57 ; Pierrette Désy, Le mot le plus détestable ou les misères de l’acculturation », in Lekion, vol. 2, n° 2, 1992, p. 193-230 ; et Michel Grenon, La notion d’acculturation entre l’anthropologie et l’historiographie », in Lekton, vol. 2, n° 2, 1992, p. 13-43. 4 Fernando Ortiz, Cuban Counterpoint Tobacco and Sugar, New York, Alfred A. Knopf, 1947 ; Alexander Von Gernet, The Transculturation of the Amerindian Pipe/Tobacco/Smoking Complex and its Impact on the Intellectual Boundaries between Savagery » and Civilization », 1535-1954 », Université McGill, 1988, p. 13. 5 Sandra Regina Goulart de Almeida, Transcultural fictions women Writers in Canada and Brazil ». Communication présentée au colloque du Conseil international d’études canadiennes, Transferts culturels diversité et métamorphoses, tenu à l’Université du Québec à Montréal, Montréal, 22 au 24 mai 2003. 6 Yves Winkin, Émergence et développement de la communication interculturelle aux États-Unis et en France », in Khadiyatoulah Fall, Daniel Simeoni et Georges Vignaux éds., Mots représentations. Enjeux dans les contacts interethniques et interculturels, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1994, p. 33-50. 7 Claude Clanet, L’intégration pluraliste des cultures minoritaires l’exemple des Tsiganes », in Jean Retschitzky, Margarita Bossel-Lagos, Pierre Dasen éds., La recherche interculturelle, Paris, L’Harmattan, 1989, t. I, p. 210-213 ; et Patrick Denoux, Pour une nouvelle définition de l’interculturation », in Jeanine Blomart et Bernd Krewer éds., Perspectives de l’interculturel, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 67-81. 8 Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973, p. 9. 9 Clifford Geertz, Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, Paris, PUF, 1986, p. 16. 10 James Clifford, Routes, Travel and Translation in the Late Twentieth Century, Cambridge, Harvard University Press, 1997, p. 11. 11 Michael Dutton, Lead Us Not into Translation Notes Toward a Theoretical Foundation for Asian Studies », in Nepantla Views Fions the South, vol. 3, n° 3, 2002, p. 495-537. 12 Sanford Budick, Crises of Alterity Cultural Untranslatability and the Expérience of Seconday Otherness », in Sanford Budick et Wolfgang Iser éds., 77» Translatability of Cultures Figurations of the Space Between, Stanford, Stanford University Press, 1996, p. 10-11. 13 François Laplantine et Alexis Nouss, Le métissage, Paris, Flammarion, 1997 ; et, Métissage, de Arcimboldo à Zombi, Paris, Pauvert, 2001. 14 Jean-Loup Amselle, Logiques métisses Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990, p. 9-10. 15 Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2001, p. 7 et 14. 16 Serge Gruzinski, La pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, p. 45. 17 Ibid., p. 315. 18 Je tiens à remercier Jean-Philippe Uzel pour ces informations. 19 L’expression est de Pierre Ouellet, Les identités migrantes La passion de l’autre », in Laurier Turgeon éd., Regards croisés sur le métissage, Québec, Presses de l’Université Laval, 2002, p. 40. 20 Walter Moser, La culture en transit un nouveau défi pour la connaissance ». Communication présentée au colloque du Conseil international d’études canadiennes, Transferts cultures diversité et métamorphoses, tenu à l’Université du Québec à Montréal, Montréal, 22 au 24 mai 2003. 21 Robert Chaudenson, Mulâtres, métis, créoles », in Jean-Luc Alber, Claudine Bavoux et Michel Watin éd., Métissages, t. II Linguistique et anthropologie, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 25-26. Voir aussi François Laplantine et Alexis Nouss, Le métissage, Paris, Flammarion, 1997, p. 7. 22 Cité dans Béatrice Didier, Le métissage de L’Encyclopédie à la Révolution de l’anthropologie à la politique », in Jean-Claude Carpanin Marimoutou et Jean-Michel Racault éds., Métissages, t. I Littérature-Histoire. Paris, L’Harmattan, 1992, p. 11. 23 Sylviane Albertan-Coppola, La notion de métissage à travers les dictionnaires du xviiie siècle », in Jean-Claude Carpanin Marimoutou et Jean-Michel Racault éds., op. cit., p. 42. 24 Jean-Luc Bonniol, Introduction », in Jean-Luc Bonniol éd., Les paradoxes du métissage, Paris, Éditions du CTHS, 2001, p. 9. 25 Voir à ce sujet, les travaux très complets de François Laplantine et Alexis Nouss, Le métissage, op. cit. ; François Laplantine et Alexis Nouss, Métissage, de Arcimboldo à Zombi, Paris, Pauvert, 2001. 26 Jonathan Friedman, From roots to routes Tropes for trippers », in Anthropological Theory, vol. 2, n° 1, 2002, p. 33. 27 Le Musée de la civilisation de Québec a exploité la métaphore du tissage pour son exposition sur les métissages en 2000-2001. Voir Ivon Bellavance, Chaque arbre illustre une pensée sur le métissage », in Pauline Beaudin et Marie-Charlotte De Konink éds., Métissages, Québec, Musée de la civilisation, 2001, p. 61-70. Au xviiie siècle, la toile métisse » désigne un tissu composé d’un mélange de fils de coton et de lin. 28 Chaudenson, Mulâtres, métis, créoles », p. 25-26. 29 Vertus Saint-Louis, L’usage du vocable créole à Saint-Domingue et le façonnement de l’imaginaire de l’haïtien de 1804 ». Communication présentée au colloque, Situations créoles pratiques et représentations, Université du Québec à Montréal, Montréal, 29 et 30 mai 2003. 30 Anne-Marie Losonczy, Le criollo et le mestizo. Du substantif à l’adjectif catégories d’apparence et d’appartenance en Colombie hier et aujourd’hui ». Communication présentée au colloque, Situations créoles pratiques et représentations, Université du Québec à Montréal, Montréal, 29 et 30 mai 2003. 31 Jacqueline Bardolph, Etudes poskoloniales et littérature, Paris, Honoré Champion Editeur, 2002, p. 19. 32 Ania Loomba, Colonialism/ Postcolonialism, New York, Routledge, 1998, p. 22. 33 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1963, p. 31-32. Voir aussi Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil, 1952. 34 Ania Loomba, op. cit., p. 15. 35 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989. 36 Edouard Glissant, Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990 ; Introduction à une poétique du divers, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1995 ; Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Paris, Gallimard, 1997. 37 Robert Baron et Anna C. Cara, Creolization and Folklore. Cultural Creativity in Proccss », in Journal of American Folklore, vol. 116, n° 459, 2003, p. 4-5. 38 Michel-Rolph Trouillot, The Créole Millenium Caribbean Lessons for the 21st Century ». Communication inaugurale au colloque Mestizaje/ Créolité Topologies of Race in the Circum-Caribbean, Franke Institute for the Humanités, Université de Chicago, Chicago, 2-3 octobre 1999. 39 Edward W. Saïd, Orientalism, New York, Random House, 1978. 40 Dipesh Chakrabarty, Subaltern Studies and Postcolonial Historiography », in Nepantla Views from the South, vol. 1, n° 1, 2000, p. 9-32 ; et Jacques Pouchepadass, Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité », in L’Homme, vol. 156, 2000, p. 161-185. 41 Salman Rushdie, Patries imaginaires, Paris, Christian Bourgois, 1993 Imaginauy Homelands, Londres, Cranta, 1981 ; et Les enfants de minuit, Paris, Plon, 1997 Midnight’s Children, Londres, Jonathan Cape, 1981. Pour une bonne synthèse de l’œuvre de Rushdie, voir Sherry Simon, La scène de l’écriture. L’œuvre de Salman Rushdie, in Pierre Ouellet, Simon Hard, Jocelyne Lupien et Alexis Nouss éds., Identités narratives Mémoire et perception, Québec, Presses de l’Unversité Laval, 2002. 42 Homi Bhabba, Signs Taken for Wonders Questions of Ambivalence and Authority Under a Tree Outside Delhi, May 1817 », in Critical Inquiry, vol. 12, n° 1, 1985, p. 144-165. 43 Homi Bhabha, The Location of Culture, Londres, Routledge, 1994, p. 44. 44 Benjamin R. Barber, Jihad vs McWorld, New York, Ballantine Books, 1995, p. 25-32. 45 Jean-Loup Amselle, La mondialisation. Grand partage ou mauvais cadrage », in L’Homme, vol. 156, 2000, p. 207. 46 Voir, entre autres, Ulf Hannerz, The Gobai Ecumene », in Ulf Hannerz, Cultural Complexity Studies in the Social Organization of Meaning, New York, Columbia University Press, 1992, p. 217-311 ; Arjun Appadurai, Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996, p. 27-47. 47 Gayatri C. Spivak, Three Women’s Texts and a Critique of Imperialism », in Henry Louis Gates, Race, Writing and Difference, Chicago, University of Chicago Press, 1986, p. 270. Voir T. K. Biaya, Femmes, spiritualité et pouvoir dans les récits de la Nouvelle-France et du Kongo xviie-xviiie siècles », in Laurier Turgeon, Denys Delâge et Réal Ouellet éds., Transferts culturels et métissages Amérique-Europe xvie-xxe siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 1996, p. 527-549. 48 Catherine E. Walsh, The Rearticulation of Political Subjectivities and Colonial Difference in Ecuador », in Nepantla Views from the South, vol. 3, n° 1, 2002, p. 61-68. 49 Slovoj Zizek, Multiculturalism, or the Cultural Logic of Multinational Capitalism », in New Left Rwiew, vol. 225, 1997, p. 44. 50 Jonathan Fncdman, From roots to routes Tropes for trippers », in Anthropobgical Theory, vol. 2, n° 1, 2002, p. 25-26 ; et Robert J. C. Young, Colonial Desire Hybridity in Theory, Culture and Race, Londres, Routledge, 1995, p. 10. 51 Richard Price et Sally Price, Shadowboxing in the Mangrove », in Cultural Anthropology, vol. 12, n° 1, 1997, p. 7. 52 Ibid., p. 11 notre traduction. 53 Ce vocabulaire a aussi été relevé par Richard et Sally Price, op. cit., p. 23, ainsi que l’importance du mot rhizome », exprimant l’idée contraire à celle d’un enracinement unique, celle de racines flottantes », s’étendant dans toutes les directions. On pourrait ajouter que ces racines multiples font référence à un passé composite, mais que cette idée fait référence au passé, non à l’avenir de la créolité. 54 Margery Fee, Who Can Write as Other », in Bill Ascroft, Gareth Griffiths, Helen Tiffin, The Post-Colonial Studies Reader, Londres, Routledge, 1995, p. 242-243. 55 Gareth Griffith, The Myth of Authentiaty, in ibid., p. 241. 56 Gérard Collomb, Ethnicité, nation, musée, en situation postcoloniale », in Ethnologie française, vol. 29, n° 3, 1999, p. 333. 57 Daniel A. Ségal, Resisting Identities A Found Theme », in Cultural Anthropology, vol. 11, n° 4, 1996, p. 431-434. 58 Rosalind Shaw et Charles Stewart, Introduction Problematizing Syncretism », in Rosalind Shaw et Charles Stewart éds., Syncretism I Anti-Syncretism The Politics of Religions Synthesis, Londres, Routledge, 1994, p. de page Pour citer cet article Référence papier Laurier Turgeon, Les mots pour dire les métissages jeux et enjeux d’un lexique », Revue germanique internationale, 21 2004, 53-69. Référence électronique Laurier Turgeon, Les mots pour dire les métissages jeux et enjeux d’un lexique », Revue germanique internationale [En ligne], 21 2004, mis en ligne le 19 septembre 2011, consulté le 17 août 2022. URL ; DOI de page
TxLkqVp. k4po3lrum5.pages.dev/192k4po3lrum5.pages.dev/177k4po3lrum5.pages.dev/340k4po3lrum5.pages.dev/354k4po3lrum5.pages.dev/145k4po3lrum5.pages.dev/290k4po3lrum5.pages.dev/52k4po3lrum5.pages.dev/539
a travers les mots et entre les mots